Laura Porcu, restauratrice indépendante • Perrine Franco, restauratrice indépendante
Description de la sculpture
La sculpture objet de l’intervention se trouve dans les magnifiques Jardins d’Annevoie.
Elle représente l’allégorie de l’Hiver: le thème des quatre saisons est fortement présent dans les œuvres artistiques de tous temps. L’allégorie de l’Hiver est liée au concept du passage du temps et donc à la fugacité de l’existence humaine.
La connexion entre ce thème et celui des saisons trouve sa genèse à l’époque classique, quand les saisons ont commencé à s’identifier aux différents moments de la vie de l’homme: la naissance (printemps), la jeunesse (été), l’âge adulte (automne) et la vieillesse (hiver).
L’iconographie la plus diffusée de l’Hiver reste celle du vieil homme barbu emmitouflé dans un long manteau et une capuche couvrant la tête, comme dans ce cas.
Le sujet du vieillard tenant un brasero en saisit à merveille toute la froideur de la saison.
La sculpture est conservée dans les jardins, à l’extérieur.
Analyse de l’état de conservation
D’après l’analyse visuelle de l’état de conservation de la sculpture, son état structurel était relativement stable. Néanmoins son état de surface présentait plusieurs altérations dues à son emplacement à l’extérieur.
La surface était recouverte de dépôts de poussière, y compris des déjections d’oiseaux et des nids d’insectes. De plus, plusieurs zones étaient altérées par la présence de colonisations végétales de plusieurs sorte et par la formation de croûtes noires, un phénomène de dégradation typique des sculptures conservées dehors.
Détail du bras: croûtes noires
Détail de la veste: déjections d’oiseaux
Détail de la barbe: nid d’insecte
Détail des pieds
Détail: colonisations biologiques (lichens et champignons)
Détail de la veste
Détail: colonisation biologiques (mousses et algues)
Ces patines biologiques et ces croûtes perturbaient fortement la lisibilité des volumes et changeaient complètement la perception de la couleur originale du marbre ; par ailleurs, elles provoquaient des altérations physiques et chimiques.
La surface de la sculpture était également partiellement érodée par les intempéries. Cette érosion est un phénomène fréquent sur les marbres conservés en extérieur. Cela se traduit par des pertes de matière et une fragilisation de la surface qui, au fil du temps, induit la formation de fissures. Cette dégradation est susceptible d’augmenter si les fissures ne sont pas traitées.
Détail du brasier
Détail: érosion de la surface
Détail de la veste: pertes de matière
Détail de la veste: fissures
Les patines biologiques et leur développement
La présence de patines végétales sur les œuvres d’art n’est pas négligeable : non seulement cela altère la perception d’un point de vue chromatique et des volumes, mais elle provoque aussi d’importantes altérations physiques et chimiques qui peuvent changer à la structure d’origine même du matériau pierreux. Pour ces raisons, en présence de colonies d’organismes végétaux on parle de bio-détérioration.
Comment la bio-détérioration se forme-t-elle ? La colonisation est causée par un mécanisme naturel : le transport par le vent du bio-aérosol, une dispersion des parcelles biologiques suspendues. Celles-ci sont déposées sur la surface de la sculpture et si les conditions sont favorables (la surface est suffisamment humide et poreuse/rugueuse) les micro-organismes commencent à se développer.
La colonisation commence par des organismes pionniers autotrophes (lichens et bactéries), ceux-ci vont permettre le développement successif des organismes hétérotrophes.
Tous ces organismes végétaux provoquent des altérations physiques (surtout les organismes endophytiques qui, en raison de conditions superficielles défavorables, s’infiltrent dans les profondeurs du matériau, en exploitant les microfissures et les irrégularités) et chimiques : dans ce cas les dégâts sont causés par l’activité métabolique des micro-organismes qui, en libérant des acides organiques, solubilisent les minéraux qui composent la pierre, corrodant lentement la surface. De plus, leur croissance, leur tendance à absorber et à libérer de l’humidité, avec pour conséquence une augmentation et une diminution de leur volume provoquant des tensions et des contraintes mécaniques sur la surface de la pierre. Cela cause, au fil du temps, des micro-éclatements de matière.
L’intervention de restauration
Le but de l’intervention de restauration était de traiter les altérations mises en exergue pendant l’analyse de l’état de conservation.
La première étape a été la suppression des patines biologiques présentes sur la surface de la sculpture : parmi les micro-organismes connus on a identifié (visuellement) la présence d’algues, de mousses et de champignons micro-coloniaux noirs.
L‘élimination des patines biologique est un processus difficile qui nécessite des applications prolongées d’un produit biocide avec des compresses. Dans ce cas-ci, nous avons choisis de réaliser des compresses à base de pulpe de cellulose et silice micronisée avec une solution d’eau et biocide. Une fois ces compresses retirées, nous avons poursuivi le nettoyage et l’élimination des patines biologiques à l’aide de brosse. Nous avons également rincé toute la surface à l’eau déminéralisée pour éliminer les résidus. Dans certaines zones, nous avons dû reproduire l’opération plusieurs fois.
Ensuite, nous avons procédé à la consolidation des fissures. Pour ce faire, nous avons appliqué un lait de chaux. Ce dernier a l’avantage d’être compatible avec les matériaux pierreux comme dans ce cas-ci le marbre et va opérer une carbonatation sur la surface.
Une fois les fissures consolidées, nous avons réalisé des bouchages sur les fissures pour éviter qu’en cas de pluie, l’eau ne stagne dans les fissures et s’infiltre. Les bouchages ont été fait avec un mortier à base chaux et de sable.
Conclusion
La restauration des sculptures en extérieur pose souvent plusieurs défis : dans le cas spécifique de la sculpture de l’Hiver notamment, la présence massive des micro-organismes favorisée par des facteurs intrinsèques du matériau et des conditions de microclimats favorables.
Néanmoins ici, les tests ont été concluants et nous avons pu éliminer efficacement toutes les différentes colonisations biologiques. En effet, chaque sculpture, chaque pierre, chaque altération est différente et peut réagir ou non à différents traitements : la phase de recherche de traitements adéquats et surtout qui sont efficaces peut parfois prendre du temps, mais c’est indispensable pour obtenir le résultat souhaité.
1 – Voir photos: les patines biologiques peuvent être de couleur verte, à noire, ou encore jaune/rouge.
2 – Voir photos: la croute noire est généralement de couleur grise à noire foncée.
3 – Ceux-ci sont autotrophes, donc capables de fixer de manière autonome le carbone présent dans l’atmosphère à des fins de respiration cellulaire.
© Ernest-Tom LOUMAYE, Propriétaire du Domaine d’Annevoie, Maître d’Ouvrage et Mécène des restaurations.